2009-10

Le séminaire (animé cette année Par Anne Bory, Nicolas Hatzfeld et Séverin Muller) a tenu sept séances, dont deux doubles. L’activité du groupe a porté sur deux axes thématiques qui visent à jeter un regard décentré sur les problématiques du travail : le travail décalé, effectué dans des secteurs d’activité considérés comme périphériques ou de « seconde zone » ou difficilement reconnu comme travail à part entière par certains acteurs ; les formes d’engagement et de militantisme du point de vue des enjeux de travail et de l’insertion des trajectoires individuelles d’engagement dans les collectifs. Ces thèmes, en partie initiés lors des dernières séances de la saison précédente, poursuivent la réflexion sur les pratiques avec une volonté à la fois de dialogue interdisciplinaire et de perspectives internationales dans les recherches.

La première partie a porté sur le travail décalé ou de seconde zone. Jérôme Greffion, doctorant à l’ENS Cachan, a présenté une recherche en cours sur le travail méconnu des visiteurs médicaux de l’industrie pharmaceutique. Ce groupe professionnel, remis en cause actuellement dans son existence même, est saisi à travers les pratiques commerciales (peu étudiées en sciences sociales) et ce qu’elles sous-tendent de rapports de domination-subordination avec les médecins. Anne-Sophie Bruno, maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Paris 13 a proposé un réflexion sur la construction historique de la flexibilité de l’emploi à partir d’une analyse des trajectoires professionnelles et familiales des migrants tunisiens en région parisienne de 1956 à nos jours, principalement dans la confection, le nettoyage et le bâtiment, pour révéler le rôle primordial des types d’entreprises (leur taille, leur histoire, leur statut) dans ces trajectoires. Frédéric Decosse, doctorant en sociologie à l’EHESS, associé à l’IRIS, a présenté ses travaux en cours sur l’absence de reconnaissance des maladies et accidents des travailleurs migrants marocains, saisonniers dans l’agriculture dans le sud de la France et de l’Espagne. Il soulève la problématique de l’externalisation de la prise en charge des risques professionnels vers les pays d’origine (mais aussi du rôle des associations pour leur reconnaissance officielle). Enfin, Fabrice Guilbaud, maître de conférences en sociologie à l’université d’Amiens (associé au CSU-CRESPPA), s’est intéressé au travail des prisonniers dans les ateliers des maisons d’arrêt et centrales. Ce travail invisible a permis de repenser les conceptions classiques du travail, comme le « sale boulot », émancipateur dans l’espace de la prison, le freinage en atelier pour éviter le retour en cellule, mais aussi la possibilité ou non d’une organisation syndicale pour la défense des droits attachés au travail dans un régime d’exception.

La seconde partie du séminaire a donc porté sur les formes d’engagement et de militantisme autour des enjeux de travail, souvent à partir de matériaux de recherche et non pas seulement d’articles. Danièle Linhart, directrice de recherches au CNRS-GTM CRESPPA, a ouvert le débat sur les formes de résistance « subjectives » au travail, qu’elles soient le fait d’acteurs individuels ou collectifs, encadrées par les organisations syndicales ou non. Cette approche sociologique de la subjectivité ouvre les perspectives de l’étude des formes de mobilisation au travail. Dans un autre registre Michel Pialoux a présenté des extraits d’entretiens et de discussions avec Christian Corouge, une figure ouvrière et militante des usines de Peugeot Sochaux. Il s’agissait ici d’introduire la réflexion sur l’articulation entre engagement individuel et collectif, notamment les possibilités du militantisme ouvrier hors de la sphère syndicale. L’intérêt de la séance portait également sur la singularité des échanges sur le long terme entre « intellectuels » et ouvriers. Arturo Aquilino Fernandez, professeur à l’Universitad de General San Martin de Buenos Aires, nous a permis d’engager une comparaison internationale en décrivant les transformations des mouvements sociaux et les singularités des pratiques syndicales en Argentine, montrant les relations organiques des centrales syndicales avec l’Etat et leurs effets sur les formes d’actions syndicales. Nous avons fini cette saison avec une journée originale consacrée aux archives radiophoniques de l’emblématique radio « Lorraine Cœur d’Acier ». Ingrid Hayes, doctorante au Centre d’histoire sociale de l’université Paris 1 et Pierre Barron, doctorant à l’université de Nantes et animateur radio, ont présenté des extraits sonores pour montrer les liens entre journalisme, militantisme et mobilisation de collectifs ouvriers dans l’usine mais aussi dans la cité, les rapports entre cultures populaires et académiques, ainsi que les prises de paroles à l’antenne comme des formes de lutte de classe (notamment de femmes ouvrières contre des médecins).