2002-03 : L’entreprise et l’organisation : histoires, acteurs et pratiques de travail au regard de plusieurs disciplines
Le séminaire a adopté cette année deux modalités. Il a d’abord poursuivi son investigation pluridisciplinaire des études sur le travail, l’entreprise et la gestion dans l’insistance sur les approches par les pratiques. Cette question des pratiques est toujours vive. En effet, l’accent sur les pratiques prétend s’opposer aux démarches plus structuralistes, qu’elles relèvent d’un structuralisme fort ou amendé à la Giddens. Or le risque est grand de se retrouver avec une notion de pratiques attrape-tout, en particulier dans sa version « pratiques sociales » qui considère comme acquis que l’étude s’épuise dans la mise au jour des conventions, des règles et des déterminations par les « capitaux » scolaires ou autres, sans inscription des actions des personnes dans les situations. D’un autre côté, la demande adressée aux historiens se formule dans les termes d’une attente de régularités de longue durée, au moment où ils s’interrogent eux-mêmes sur les modes de construction de ces régularités une fois qu’on a décidé de se priver de fonctionnalisme et de structuralisme. Des propositions émergent, de l’ordre d’une « interaction située et distribuée ». Elles permettraient d’envisager comment les acteurs se construisent et se (re)définissent dans leurs confrontations en situation ou encore comment on peut faire l’histoire longue des régulations de pratiques dans divers domaines. Comme les pratiques elles-mêmes, l’effort de les réguler serait décrit comme une pratique située, saisie en acte dans ses environnements humain, matériel, spatial, référentiel, institutionnel, etc., qui sont non pas structurels mais définis dans les situations et que ces situations relancent et reconfigurent sans cesse jusqu’à composer des processus identifiables. Des chercheurs du groupe sont intervenus à partir de leurs travaux : Yves Cohen sur l’usage, pour l’analyse historique de l’action, de la relation de la journée d’un manager rédigée par lui-même en 1939, Gwenaële Rot sur les syndicalistes et les sociologues de Renault dans leur étude du travail, de Philippe Lefebvre sur la formation des hiérarchies dans les grandes entreprises au XIXe siècle et de Cédric Lomba sur une enquête de terrain récente au sommet d’une multinationale. Quelques invités ont contribué à cette réflexion : Anni Borzeix et Béatrice Fraenkel sur la pragmatique de l’écrit dans le travail, François Vatin sur le concept de fluidité et Paul Duiguid sur l’invention du concept de « communauté de pratiques » dans le laboratoire de R&D de Rank-Xerox.
Une réflexion étendue a été menée par ailleurs sur deux autres thèmes susceptibles d’appuyer les travaux du groupe, celui des normes et celui du présent de l’histoire. Les normes sont un objet familier pour nombre d’entre nous, tant du point de vue de leur fabrication que de celle de leur mise en œuvre, de leur recomposition, de leur faculté d’encadrer des pratiques dans les entreprises à tous niveaux et en toutes directions (des produits aux gestes du travail et aux modes de gestion). En ce qui les concerne, la question de l’établissement d’une histoire longue est également à l’ordre du jour. Le second thème qui donnera lieu, comme celui des normes, à un programme pluri-annuel de recherche est suscité par la présence dans le groupe de pratiques de recherche symétriques : des sociologues, des chercheurs en gestion et des anthropologues pratiquent l’histoire en considérant leur objet ou leur terrain comme historique. Dans l’autre sens, des historiens s’engagent dans des enquêtes ethnographiques pour mieux saisir leur objet historique à travers des questions suscitées par un engagement réglé dans l’étude du présent. Qu’est-ce que cela dit à la fois sur l’histoire, sur le présent, sur nos objets et sur l’état des sciences sociales ? Une question sur laquelle nous inviterons nombre de chercheurs extérieurs à réfléchir avec nous.