2001-02 : L’entreprise et l’organisation : histoires, acteurs et pratiques de travail au regard de plusieurs disciplines
Cette année, le séminaire collectif a poursuivi son étude des formes historiques et contemporaines du travail en interrogeant diverses sciences sociales, l’histoire, la sociologie et l’anthropologie, et la recherche en gestion. A chaque fois s’est posée la question du travail sur le travail mené au sein de telle ou telle de ces sciences. L’histoire a été interrogée sur la capacité de ses sources de permettre d’accéder aux pratiques autres que la fabrication même de ces sources (à propos de l’étude de la brouette comme technique du corps rejetée par les Égyptiens sur le chantier du canal de Suez – Nathalie Montel –, ou bien à propos de l’accès à la pensée de la pratique comme prévision et anticipation dans l’organisation de la production entre les deux guerres – Yves Cohen). On a interrogé la sociologie sur les formes de ses enquêtes (en particulier le rapport entre le biographique et l’observation in situ) et sur leur contribution à la formation du discours sociologique (à propos des tensions entre les générations au travail dans les centrales nucléaires – Pierre Fournier). Enfin, la recherche en gestion a été interrogée sur sa position par rapport à la prescription et à la critique issue du terrain et des sciences sociales (à propos de récents travaux sur les fondements des sciences de gestion – Armand Hatchuel). Une grande discussion nous a occupés à propos de la notion d’agency (relative à la participation à l’action des objets, de l’espace et des personnes), telle qu’elle a été développée dans des travaux récents de sociologie et d’histoire des sciences et des techniques. La question s’est encore posée de savoir comment traverser les sources pour accéder à une représentation fiable des différentes formes d’agency, en particulier à propos de la réification de la domination masculine – Delphine Gardey. Ces questions étaient toutes à l’œuvre dans d’autres points d’application de nos discussions, traitant de la comparaison des trajectoires de l’activité féminine et du travail des femmes en France et en Allemagne – Isabel Georges –, de la sociologie du risque sanitaire et de la traçabilité dans les abattoirs – Séverin Muller – et de l’étude historique des rapports entre management et métiers dans une grande maison d’édition comme Hachette – Jean-Philippe Mazaud.
Deux questions ont émergé cette année, qu’il conviendra de reprendre sous des formes nouvelles. Tout d’abord, les participants du séminaire ont convenu de l’intérêt de travailler sur la remise en question d’une opposition simple entre théorie et pratique. Nous aurions plutôt affaire à des “packages” formés d’objets, de hiérarchies, de savoirs, de problématisations locales des situations, de recours à des références théoriques prises dans “l’essoreuse” de la pratique, de personnes qui résistent plus ou moins aux initiatives des autres, de cours d’action qui sont des flux d’actes simultanés et successifs formant les uns avec les autres des collectivités d’action plus ou moins coopératives ou conflictuelles. L’étude des formes de pouvoir et de domination (sans être rabattues uniquement sur des techniques) devrait être réinvestie dans celle de ces ensembles. Ensuite, un grand nombre d’entre nous allient de façon délibérée une perspective historique en profondeur et une expérience ethnologique. Il s’agit là d’une association émergente et nullement pensée au départ comme une entreprise commune ou un trait commun. Cette réunion de l’histoire prise au sérieux et de l’intervention dans le présent appellera notre attention pour en saisir et en développer toute la portée scientifique et critique